Quels repères pour bien décider aujourd'hui ?
Le 27 mars 2015, dans le beau décor du château d'Aubry-du-Hainaut, s'est tenue la première rencontre des Décideurs d'Avenir, qui réunissait des prêtres, des diacres, des entrepreneurs, des chefs d'entreprise, des notaires… de tous âges, venus là en quête de repères pour prendre les bonnes décisions dans leurs différents domaines d'activité.
Les organisateurs de cette rencontre avaient confié à Bruno Lécluse, fondateur et directeur général de la chaîne de télévision privée KTO TV, le soin d'animer les débats. Il a notamment interrogé les deux témoins invités à venir partager leur expérience en matière de prise de décisions : Etienne Wibaux, président (entre autres…) du groupe industriel textile Subremat et le moine bénédictain, Dom Didier Le Gal, qui a créé une entreprise de numérisation de documents au service du patrimoine et des entreprises.
<><><>
Dans son témoignage, Etienne Wibaux a tout d'abord expliqué qu'être Décideur d'avenir, c'était d'abord savoir observer une réalité sans cesse en évolution, ensuite s'ouvrir sans cesse à de nouvelles possibilités pour s'adapter et rebondir face aux difficultés qui surgissent inévitablement.
Il a ensuite expliqué que pour ne pas se disperser et partir à la dérive, il faut avoir un fil conducteur qui permet de prendre des décisions qui font sens parce qu'elles vont dans le bon sens. Ce fil conducteur, il a commencé à le trouver alors qu'il faisait ses études en Allemagne et qu'il s'est confié à un ami. Celui-ci l'a écouté pendant trois quarts d'heure exposer son mal être puis lui a simplement conseillé de se poser cette question : Qu'est-ce qui est important et qu'est-ce qui est accessoire ?
Ce fil conducteur a permis à Etienne Wibaux de comprendre que la première chose importante dans sa vie était son couple. C'est pourquoi, tout au long de sa carrière, il n'a cessé de faire équipe avec sa femme, pour définir les priorités, évaluer les risques, oser et assumer ensemble les prises de décisions.
La deuxième chose importante était son entreprise, conçue comme étant au service des hommes mais en même temps assujettie aux dures réalités économiques, notamment celles de la concurrence et de l'évolution des technologies, en particulier dans le domaine du textile. Pour s'aider à discerner les bonnes décisions, Etienne Wibaux a trouvé un maître à penser en la personne de Saint Ignace de Loyola, fondateur des jésuites, et expert dans l'art du discernement.
Quand Etienne Wibaux s'est engagé aux EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens), dont il est par la suite devenu le président, et qu'on lui a demandé quelle était sa conviction, il a récité la prière de Saint Ignace : "Prends Seigneur et reçois ma liberté, ma mémoire, mon intelligence. Tout ce que tu m'as donné, je te le rends. Donne-moi seulement ton amour et ta grâce, c'est assez pour moi."
Enfin Etienne Wibaux a toujours combattu la corruption dans la conduite des affaires, refusant de signer des contrats pourtant alléchants mais assujettis à des conditions moralement inacceptables…
Etienne a terminé son témoignage en concluant comme ceci :
"En conclusion je voudrais dire qu'être Décideur d'avenir, c'est :
- Apprendre à choisir.
- Ne pas oublier la passé mais vivre dans le présent avec le principe de réalité.
- Choisir une pédagogie : quel est mon fil conducteur ? Christiane Singer disait : Ne lâchez jamais le fil de la merveille, il vous fera traverser le plus sombre des labyrinthes, elle a eu un cancer, elle s'est tenue à son fil, fil de vie, fil d'espoir, fil d'espérance.
- Durer malgré nos fragilités, vous avez vu, tout au long de mon exposé, que je suis, comme vous, immergé dans la fragilité de l'environnement et la fragilité des hommes.
- Apprendre à se former sans cesse pour décrypter le monde, décrypter l'avenir.
- Décider l'arrêt et le silence, et non pas de courir toujours plus avant, pour apprendre à goûter, s'émerveiller et devenir toujours plus bienveillant.
- Enfin, c'est, pour mon cas, devenir familier de l'Évangile et du Christ et m'engager à sa suite. C'est donc faire le choix de rencontrer l'autre différent, surtout le Christ, faire le choix d'accepter l'interpellation de mes amis et de mes ennemis, le choix de croire au dialogue et au projet porteur de sens pour tous, pour mobiliser et innover, co-créer dans et hors de l'entreprise."
Etienne Wibaux a ensuite accepté de répondre aux questions des participants :
- Comment réussir dans un secteur aussi difficile que le textile ?
- Que répondre à ceux qui disent : Je n'ai pas le choix parce que…, parce que… ?
- Comment avez-vous traversé les moments difficiles ?
- Comment savoir si on a pris les bonnes décisions ?
- Comment choisir et décider quand on n'a pas le pouvoir ?
- Comment concilier vie professionnelle et vie privée ?
- Comment susciter des contrats de longue durée dans l'Église, à notre époque ?
<><><>
Bruno Lécluse a ensuite présenté et donné la parole à Dom Didier Le Gal, moine dominicain devenu chef d'entreprise...
Dom Didier Le Gal explique que lorsque les moines de l'abbaye de Saint Wandrille lui ont confié la mission de lancer et de diriger une entreprise de numérisation (qui emploie aujourd'hui une centaine de salariés et une douzaine de moines), il est allé dans une école de commerce de Rouen pour y apprendre comment manager une entreprise. Il en est revenu fort dépité, trouvant qu'on lui avait présenté des outils de management fort compliqués...
C'est alors qu'il s'est fait la réflexion que la règle de Saint Benoît, rédigée au VIème siècle, était relativement simple et que si elle avait permis à tant de communautés bénédictines de fonctionner et de durer à travers les siècles, elle pouvait peut‑être être transposée et adaptée au monde de l'entreprise. Il a ainsi dégagé de cette règle, un certain nombre de fondamentaux nécessaires au bon fonctionnement de toute communauté, que ce soit un monastère ou une entreprise de numérisation.
Compte tenu du temps limité qui lui était imparti pour donner son témoignage, il en avait sélectionné quatre, à partager à son auditoire, chaque fondamental ayant la forme d'un triptyque :
1er fondamental : Une communauté équilibrée + une règle simple + un chef qui incarne la règle.
Pour qu'une communauté fonctionne, il faut qu'elle soit constituée de gens ayant les mêmes valeurs et poursuivant le même but. Il faut aussi une règle simple et connue de tous, qui définit les droits et les devoirs de chacun, et un chef qui incarne cette règle et veille, dans un esprit de service, à la faire respecter de tous.
2ème fondamental : Silence, écoute, obéissance.
Le raisonnement est très simple : Les employés, les subalternes, ne peuvent pas consentir une obéissance volontaire s'ils ne se sentent pas écoutés et pris en compte, et on ne peut pas écouter s'il n'y a pas le silence. Le silence, avant et après toute rencontre, conditionne l'écoute bienveillante qui elle-même conditionne l'obéissance librement consentie de ceux que l'on doit manager.
3ème fondamental : Don (pour soi, à soi, aux autres) + pardon + communion.
La communion dans une communauté monastique, ou l'unité du groupe dans une entreprise, signifie que tous les membres du groupe partagent la même vie, participent à la vie du groupe d'une façon interdépendante selon un schéma en trois étapes : je reçois quelque chose d'un autre (fournisseur), je le fais mien (transformation) et je le transmets à un autre (client). Cela est vrai aussi bien en externe (l'entreprise dans la société) qu'en interne (les membres de l'entreprise entre eux). Or si un de ces trois maillons fait défaut, la chaîne est rompue et il y a crise : quelqu'un ne reçoit pas, ou ne transforme pas, ou ne transmet pas. Le flux de l'énergie est bloqué. C'est alors qu'intervient le pardon dans une communauté monastique, ou le droit à l'erreur dans une entreprise, qui permet de rétablir le flux de l'échange d'énergie. Le droit à l'erreur n'a pas seulement un rôle de réparation, il est aussi un facteur de progrès : Lorsque les gens savent qu'ils ont le droit à l'erreur, ils n'hésitent pas à tenter, expérimenter, innover…
4ème fondamental : Lecture de la Parole + prière + travail des mains.
La vie des moines est; en effet; partagée en ces trois tiers d'égale importance.
Dom Didier Le Gal, ayant épuisé son temps de parole, n'a pu qu'ébaucher ce dernier point. Mais chacun des participants ayant compris comment transposer la règle de Saint Benoït au monde de l'entreprise, pouvait imaginer, pour lui-même, comment le faire pour ce dernier fondamental. A moins que ce soit le seul fondamental qui ne puisse qu'être repris tel quel. Par quoi, en effet, pourrait-on remplacer la prière et la lecutre de la Parole de Dieu ?
Dom Didier Le Gal a ensuite, à son tour, accepté de répondre aux questions des participants :
- Avez-vous toujours eu la foi ?
- Comment obtenir que les jeunes s'engagent dans la durée dans l'Eglise ?
- Comment peut-on licencier un collaborateur… quand on est moine ?
- Qu'est-ce que c'est qu'une éducation laïque avec un caractère sacré qui mène à l'engagement de tout une famille dans la vie consacrée ?
- Les moines qui doivent obéir à la règle, peuvent-ils avoir la liberté de penser ?
- Comment un moine peut-il signer des contrats commerciaux et rester fidèle à son éthique ?
<><><>
Et après ?
La réunion semestrielle suivante, avec d'autres "Grands Témoins", aura lieu en novembre 2015.
D'autre part, à l'issue de cette première après-midi d'échanges, l'A.F.P.C (Association pour la Formation Permanente du Diocèse de Cambrai) vous propose une formation approdondie intégrant la pensée judéo-chrétienne dans la réflexion managériale. Il s'agit de 3 journées co-animées pas un théologien et des conseils d'entreprise. (en savoir plus...)
<><><>